XVIIIème Colloque de l'Aidelf
Valentine Becquet Ined, France
« Savoir concevoir un fils » : de l'inégalité de genre aux avortements sexo-sélectifs au Viêt Nam
Résumé:
Initiée en 1986, la réforme du Renouveau (Doi Moi) a institué au Viêt Nam une « économie de marché à orientation socialiste » ; l'État s'est alors retiré des structures collectives de sécurité sociale, entraînant une résurgence des traditions rituelles et familiales afin d'assurer la solidarité familiale (Luong 2010). En mettant l'accent sur les patrilignages, ces traditions ont renforcé le caractère patriarcal de la société, en particulier dans le Nord du pays, et accentué le besoin d'avoir un fils, dont la naissance légitime le statut des femmes au sein de leur belle-famille et de la société, et renforce le prestige et la masculinité des hommes au sein de la communauté. Les couples développent alors des stratégies pour négocier leurs désirs reproductifs, afin de satisfaire à la fois la norme sociale d'une descendance restreinte relayée par des campagnes efficaces promouvant le contrôle de la fécondité pour obtenir une famille de « qualité » - et la norme de parenté rendant l'existence d'un fils indispensable pour perpétuer la lignée. Les capacités des femmes, selon le concept élaboré par Amartya Sen et Martha Nussbaum (2000), s'inscrivent dans un système patriarcal, dans lequel la maternité ne prend sens que lorsqu'un garçon est conçu.
Dans ce contexte, l'offre de soins s'est intensifiée dans le champ de la reproduction, et les nouvelles technologies telles que les échographies se sont développées, leur usage étant détourné pour déterminer le sexe pendant la grossesse mais également pour aider à concevoir un fils ; le « marché » de la préférence pour les garçons s'est en effet révélé extrêmement lucratif. Cependant, cette possibilité représente également une nouvelle contrainte. Les couples n'ont plus l'excuse du hasard puisque le choix est désormais possible : avec la contraception, l'avortement puis l'échographie, la descendance peut se construire. Cette nouvelle offre a donc modifié la demande et engendré une forme extrême de maîtrise de la fécondité. Certains couples ont ainsi pu adopter une nouvelle stratégie, la sélection sexuelle prénatale, pour s'assurer la naissance d'un garçon.
À travers une étude des rôles de genre au sein des couples et des familles, basée sur trois enquêtes qualitatives menées dans le Nord et le Sud du Viêt Nam en 2012-2013, ce papier analyse de quelle manière les « discours pro-familiaux de l'État du Doi Moi » (Werner 2009), tout en soutenant officiellement l'égalité de genre, ont mené à cette forme de discrimination manifeste envers les femmes.
Le statut de l'enfant dans sa famille
jeudi 23 juin 2016