Programme du Colloque



XVIIIème Colloque de l'Aidelf

Audrey Lenoel Ined, France

Les « trois âges » de la femme qui reste : statut, pouvoir de décision et accès aux ressources des épouses de migrants marocains restées au pays

Résumé:
Longtemps négligées dans les études sur les migrations, les femmes 'qui restent' au pays suite au départ des hommes représentent une réalité saillante des pays caractérisés par une forte émigration de travail masculine, tel que le Maroc. La littérature concernant ces femmes formule souvent l'hypothèse de leur possible autonomisation suite à l'émigration des hommes, par les changements que celle-ci peut induire dans la division sexuelle du travail et les nouvelles responsabilités incombant aux femmes, dans le contexte de sociétés traditionnelles. Les conclusions de ces recherches restent cependant mitigées, et le potentiel émancipatoire de la migration sur celles qui restent apparait incertain, et très dépendant du contexte. Basée sur une méthodologie "mixte", alliant l'analyse de données de l'Enquête Nationale sur le Niveau de Vie des Ménages (ENNVM) du Maroc réalisée en 2006-7 et d'entretiens semi-directifs avec des femmes restées au pays dans une région marquée par une émigration ancienne vers la France, cette contribution considère comment la migration et les pratiques de remises migratoires affectent la position et le pouvoir de décision des épouses de migrants au sein des ménages d'origine. Pour ce faire, elle examine comment la migration affecte ce qui est généralement considéré comme un facteur permettant l'autonomisation des femmes, à savoir la structure des ménages. Alors qu'il est parfois avancé que la migration internationale renforce la tendance générale à la nucléarisation des ménages, l'analyse de l'ENNVM suggère qu'elle pourrait au contraire favoriser la résilience de systèmes familiaux plus traditionnels, caractérisés par la cohabitation prolongée des épouses et de leur belle-famille. Cette observation est étayée par les récits de vie des femmes montrant comment leur pouvoir et leur statut tendent à évoluer dans le temps, en suivant les étapes importantes du cycle domestique et de la trajectoire migratoire de leurs maris. Rappelant la typologie de Sayad concernant l'émigration algérienne en France (1977), cette contribution distingue trois «âges» de la femme laissée au pays, caractérisés par différentes configurations de pouvoir et différents niveaux d'accès aux bénéfices de la migration dans les ménages locaux et transnationaux. Ce faisant, elle met en évidence les nombreuses difficultés auxquelles elles sont confrontées, et comment la migration peut contribuer à la résistance de structures familiales étendues. Les résultats tendent à montrer que les systèmes de migration fondés sur un ordre social et familial de type patriarcal sont peu susceptibles de favoriser une autonomisation durable des femmes dans le ménage d'origine et de la communauté.

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Genre et migrations
mercredi 22 juin 2016